sam. 22 janv. 2022 20:15
Monsieur le Chancelier,
Mesdames et Messieurs les Représentants,
Un vieux proverbe de ma région d'origine dit : "Quand buffles et bœufs s'affrontent, mouches et moustiques meurent." Je ne pense pas, malheureusement, que ce proverbe parlait véritablement d'animaux. En réalité, nous, les dirigeants du monde, et particulièrement ceux qui dirigent les grandes puissances de ce monde sont les buffles et les bœufs. Les enfants, les malades et les pauvres sont les mouches et les moustiques. Dramatique constat plus véridique que jamais : la probabilité qu'un dirigeant oxanne ne meurt dans la guerre est très faible. Qu'un enfant vivant dans une ville bombardé en Hibernia soit tué est la logique de ces guerres impitoyables, qui déforment l'ordre naturel.
Alors oui, comme les buffles et les bœufs de mon proverbe, nous ne sommes pas les mêmes. De la Solinarie à la Phoécie et de la Cathésie à l'Idylénie, nous appartenons à des peuples différents, nous avons des cultures, des langues et des religions différentes. Nos intérêts sont souvent divergents et s'opposent dans de très nombreux cas. Mais, comme buffles et bœufs, nous avons des caractéristiques communes. Plus encore, je suis persuadé, même en dehors de toute considération religieuse, que nous sommes frères.
Les frères se fâchent, se disputent et se font même parfois la guerre. Mais dans ces cas-là, la famille est toujours impactée, torpillée en son cœur par des mots qui dépassent les pensées. Comme dans une famille de quelques personnes, la grande famille de l'humanité, qui compte des milliards de membres, est torpillée par les bombes qui frappent les enfants, les vieillards et les affamés. L'humanité toute entière est consternée par la violence que l'on fait à ceux qui ne comprennent même pas les enjeux qui se cachent derrière les assauts et les bombardements qui n'amènent que ruine et deuil.
De même que les buffles et les bœufs, les mouches et les moustiques sont semblables. Un enfant est tout aussi fragile en Oxanna qu'à Graznavia. Une veuve est tourmentée par le deuil et la crainte de la misère, qu'elle se trouve aux confins du Borowen ou à Pogoren. Les malades souffrent des mêmes maladies et les affamés de la même faim. Les enfants pleurent des mêmes larmes leurs pères partis se battre, les mères poussent les mêmes cris en apprenant la mort de leurs fils sous les couleurs des bannières militaires et aux sons de funestes tambours.
Non, les dirigeants confinés dans leurs palais, protégés par des bunkers et des gardes d'élite, ne mourront pas. Ils mourront lorsqu'ils seront séniles et incontinents tandis que de trop nombreux noms de jeunes gens seront ajoutés sur les monuments aux morts. La terreur semée sur les champs de bataille mettra des générations avant de se dissiper et les haines ne disparaîtront pas quand les traités de paix imposeront des conditions ahurissantes aux peuples déjà opprimés.
Oui, combattre les régimes qui ne respectent pas les droits humains les plus fondamentaux est un devoir que chacun se doit d'honorer. Oui, combattre les gouvernements qui tuent leurs peuples et les laissent dans la misère est une nécessité. En revanche, il est du devoir de chaque dirigeant de toujours concevoir la guerre comme la dernière des solutions. Il ne s'agit pas ici d'un discours pacifiste de vieillard dont la génération n'a jamais combattu, ce que j'admets volontiers être, il s'agit de vies humaines qui comptent autant, si ce n'est plus que les vies de ceux qui gouvernent. Les fragilités de chaque personne sont comme les lingots d'or aux yeux des banquiers : des trésors qu'il faut protéger.
Le vacarme des canons et des navires est insoutenable. Les alarmes avertissant des bombardements et le bruit des bottes dans les rues le sont tout autant. Mais plus encore, le silence face aux crimes abjects que représentent chaque soldat ou civil tué, me remplit de colère. Le Sort, dans sa bonté, a offert aux Hommes des moyens de se défendre et je serai toujours un soutien de ceux qui en usent de manière à protéger leurs populations. Mais le Sort nous a aussi dotés des dons de paroles et de réflexion. Le sifflement des balles est une déchirure, le silence de ceux qui ont les moyens d'arrêter cela me rend colérique.
Qu'attendez-vous, Mesdames, Messieurs, empereurs, rois, présidents, ministres et autres émirs, pour faire enfin la guerre des mots à ceux qui usent des armes contre les populations ? Qu'attendez-vous pour dénoncer ceux qui s'en prennent aux nations fragiles qui ne demandent qu'à vivre en paix ? Heureusement, notre planète est encore habitée de quelques peuples pour qui la défense de la veuve et de l'orphelin n'est pas qu'une devise. Je veux saluer ceux qui se sont engagés à défendre les plus opprimés des peuples que comptent notre monde.
Je ne veux pas me prononcer sur les conflits en cours de manière précise. Jamais je ne serai assez intelligent pour comprendre aussi bien que vous les guerres qui se déroulent aujourd'hui. Ce dont je suis certain, c'est que ces guerres doivent se terminer le plus rapidement possible pour épargner de précieuses vies. Et je vous appelle, dirigeants du monde, à agir pour faire cesser tout cela. Le Sort vous en sera reconnaissant éternellement. Je conclurai à nouveau par un proverbe que j'ai appris d'un ami idylénien : "la paix dans la maison engendrera la joie."
Je vous remercie.